L’apprentissage musical : un allié pour le cerveau à tout âge
Les effets de l’apprentissage d’un instrument de musique ont été largement étudiés au cours des dernières années. Cette activité engendre une grande réactivité du cerveau. Les processus impliqués sont corrélés à des compétences non musicales, notamment le langage, la motricité, la mémoire, l’attention et la perception. L’entraînement musical serait donc un outil de stimulation cognitive pertinent, présentant même un potentiel thérapeutique.
Cet article est basé sur cinq études scientifiques et une revue de littérature réalisées par des chercheurs du Québec et d’Europe au cours des dernières décennies. Il présente les caractéristiques du cerveau des musiciens, les effets bénéfiques de l’entraînement musical pour le développement cognitif de l’enfant avec ou sans troubles d’apprentissage ainsi que ses effets sur la plasticité cérébrale et le vieillissement du cerveau.
Le cerveau des musiciens
Plusieurs auteurs soutiennent que le cerveau des musiciens présente certaines particularités. Il a été démontré que l’entraînement musical implique des processus cognitifs liés à des compétences non musicales et qu’il améliore leur fonctionnement et leur coordination. En effet, différents aspects de la cognition, de la motricité et du réseau émotionnel sont sollicités. Des neuropsychologues soutiennent que certaines régions du cerveau des musiciens sont plus volumineuses en raison de l’entraînement de ces processus (Fauvel et al., 2012). Des études révèlent notamment que leurs capacités langagières sont plus élevées et qu’ils ont plus de facilité à apprendre une nouvelle langue. Les résultats démontrent même une amélioration du QI global (Moussard et al., 2012).
Ces effets peuvent être perceptibles dès l’enfance, alors que l’apprentissage d’un instrument de musique entraîne l’amélioration de compétences diverses.
Développement cognitif de l’enfant
Plusieurs études présentent les effets bénéfiques de l’apprentissage musical sur le développement cognitif des enfants et montrent que les bénéfices sont nombreux. En plus de renforcer la confiance en soi et de constituer un exutoire créatif, cette activité contribue à l’amélioration de divers processus cognitifs.
Le traitement du langage et celui de la musique sont similaires puisqu’ils partagent un certain nombre de ressources neuronales. De ce fait, l’entraînement musical est susceptible d’améliorer les compétences linguistiques telles que la compréhension, la segmentation et la manipulation des sons de la langue, primordiales dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Des études révèlent d’ailleurs que ces effets sont perceptibles en un court délai. Une quinzaine de séances d’une durée de vingt minutes suffisent pour les constater (Frey et Sappey-Marinier, 2018). Évidemment, la persévérance est de mise pour des effets plus larges, à plus long terme.
Au-delà du langage, le traitement musical sollicite des ressources neuronales similaires au traitement d’autres activités non musicales. Dans son ouvrage qui traite des effets de la musique sur les habiletés cognitives, Jonathan Bolduc, professeur à l’Université Laval en éducation musicale et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en musique et apprentissage, soutient « que diverses composantes de la musique, dont l’organisation rythmique (étude de différentes métriques, compréhension des mesures binaires et ternaires), contribueraient à une meilleure maîtrise des notions de fractions » en mathématiques (2009).
D’autres processus y sont associés et en bénéficient tels que la mémoire et l’attention. Certains entraînements musicaux favoriseraient d’ailleurs la tonicité du corps et donc amélioreraient la posture (Moussard et al., 2012). Des bénéfices sont aussi notables pour les fonctions de planification, d’inhibition, de résolution de conflit et de contrôle cognitif (Fauvel et al., 2012).
La pratique musicale est aussi un outil approprié pour le traitement de certains troubles d’apprentissage chez l’enfant.
TDAH
Les enfants atteints de TDAH présentent des difficultés de régulation dans les tâches qui requièrent de l’organisation, de la planification et de l’inhibition. Selon Linda Essiambre, détentrice d’un doctorat en éducation de l’Université du Québec à Rimouski, Pauline Côté, qui détient un doctorat en psychologie sociale de l’Université de Montréal et Nicole Chevalier, professeure et chercheure à l’Université du Québec à Montréal, la pratique musicale aiderait ces jeunes à se réguler, notamment en suscitant chez eux de l’intérêt et de la créativité. En effet, les auteures soutiennent que cette pratique présente un impact positif chez l’enfant hyperactif en milieu scolaire au niveau de l’apprentissage, du comportement et de la motricité. Par ailleurs, leur étude révèle une amélioration de la posture chez les enfants atteints de TDAH ayant suivi des cours de guitare. Elles remarquent aussi « une nette diminution des tics et des bégaiements chez les sujets » (2010).
Dyslexie
Tel que mentionné précédemment, le traitement de la musique et celui du langage impliquent des processus sous-jacents communs au niveau cognitif. L’effet positif de la musique sur l’apprentissage de la lecture est mis en évidence dans plusieurs études. L’entraînement musical constituerait donc un outil pertinent, parmi les méthodes utilisées par les orthophonistes, pour le traitement de la dyslexie. Des chercheurs du Laboratoire de neurosciences cognitives de Marseille ont réalisé des études pour illustrer ce constat. Les résultats démontrent que « seulement 3 jours d’entraînement musical intensif suffisent pour modifier le déficit des dyslexiques dans des tâches de perception auditive des composantes temporelles de la parole ». Ces auteurs notent « des améliorations en attention auditive, conscience phonologique (fusion syllabique), vitesse de lecture et en répétition de pseudo-mots » comparativement aux enfants non entraînés musicalement (Habib et al., 2013). L’entraînement musical permettrait donc l’amélioration des compétences linguistiques chez les enfants atteints de dyslexie.
Les effets bénéfiques de cette activité profitent aussi aux personnes de tous âges. Le cerveau s’adapte effectivement aux apprentissages réalisés tout au long de la vie.
Plasticité cérébrale
La plasticité cérébrale renvoie à la capacité du cerveau à se restructurer et à récupérer, à se modifier lors des processus d’apprentissage. Elle permet à des régions du cerveau de modifier leur anatomie, par exemple en augmentant la taille du corps et du noyau cellulaire des neurones, pour être plus efficaces. Puisque plusieurs tâches sont requises séquentiellement et simultanément lors de la pratique musicale, plusieurs aires cérébrales sont activées et modifiées. Ces tâches sont, par exemple, la lecture de la partition, la planification de l’activité motrice des deux mains et les processus de mémorisation (Moussard et al., 2012).
La neuropsychologue Aline Moussard, l’orthophoniste Françoise Rochette et l’enseignant-chercheur Emmanuel Bigand s’intéressent à l’utilisation de la musique comme outil de stimulation cognitive. Dans leur revue de littérature, ils illustrent comment la pratique musicale peut présenter des perspectives thérapeutiques, notamment en raison de la plasticité du cerveau. « La pratique musicale répétée modifierait l’organisation des aires corticales relatives à ces fonctions, et ce à 3 niveaux : 1. augmentant le nombre de neurones impliqués, 2. favorisant leur degré de synchronisation temporelle, et 3. augmentant le nombre et la force des connexions synaptiques excitatrices et inhibitrices », soutiennent les auteurs. Ces effets peuvent d’ailleurs survenir à court terme, soit une demi-heure par semaine après 15 mois d’entraînement (Moussard et al., 2012).
La pratique musicale influence la réactivité et l’organisation de régions du cerveau non spécifiques à la musique et permet donc une amélioration des processus sous-jacents, rendant cette activité aussi intéressante pour les personnes plus âgées.
Vieillissement
Cognitif lié au vieillissement. Ils suggèrent que la stimulation des fonctions cérébrales qu’elle engendre permet d’atténuer l’atrophie des régions du cerveau sous-tendues par ces fonctions (Fauvel et al., 2012).
La plasticité cérébrale intervient tout au long de la vie. Les personnes âgées peuvent donc entreprendre de nouveaux apprentissages, comme celui d’un instrument de musique. L’entraînement musical constitue une activité pertinente pour pallier le déclin cognitif, ses bénéfices étant liés à des régions cérébrales et des opérations mentales diverses. « Le fait que la pratique musicale mette en jeu simultanément ces différents réseaux neuronaux optimiserait son effet supposé dans le cadre du vieillissement normal, où la dégradation cognitive est en partie produite par des dysconnexions neuronales qui perturbent l’intégration fonctionnelle de systèmes multiples » (Fauvel et al., 2012). Les auteurs suggèrent que cette activité, en ciblant plusieurs opérations mentales à la fois, pourrait être plus adaptée que les programmes d’entraînement qui les stimulent indépendamment. En plus de permettre au cerveau de s’adapter (plasticité cérébrale), elle procure un sentiment de satisfaction et de développement personnel et réduit le risque de dépression (Fauvel et al., 2012).
Dans leur revue de littérature citée précédemment, Moussard et ses co-auteurs suggèrent que la pratique musicale permettrait aussi la prévention des pathologies liées au vieillissement en renforçant les compétences cognitives, motrices, émotionnelles et sociales, en plus de retarder les effets du vieillissement. De plus, ces auteurs soutiennent que la pratique musicale, en stimulant des fonctions mentales et en provoquant des effets physiologiques et hormonaux, pourrait préserver de la démence, bien que d’autres études soient nécessaires afin de renforcer cette observation (Moussard et al., 2012).
En sommes, l’apprentissage d’un instrument de musique présente plusieurs bienfaits. En plus de favoriser l’estime de soi, de permettre l’expression de sa créativité et de ses émotions, cet exercice est susceptible d’améliorer certains processus cognitifs. Il semble bénéfique au développement de l’enfant avec ou sans trouble d’apprentissage, à la bonification de compétences non musicales et à l’amélioration de la qualité de vie de personnes âgées.
Les travaux pointant dans cette direction foisonnent. Les auteurs précisent toutefois que d’autres études doivent être réalisées pour solidifier ces constats. Ces données sont tout de même intéressantes et inspirantes. La musique est porteuse d’identité culturelle. Pour certains indispensable, pour d’autres nécessaire, la grande place qu’elle occupe dans les activités humaines et son rôle crucial pour la cohésion sociale sont remarquables.
Mélanie Valcourt-Robichaud, B.A.
Sources
Bolduc, J., 2009. « Musique et habiletés cognitives au préscolaire », Dans Recherche en éducation musicale, 27, 1-16, Université Laval, https://www.mus.ulaval.ca/
Essiambre, L., Côté P. et Chevalier, N., 2010. « Apprentissage de la musique chez l’enfant hyperactif », Education Canada, Vol. 49 (2), www.cea-ace.ca
Fauvel, B., Groussard, M., Desgranges, B. et Platel, H., 2012. « Pratique musicale et plasticité cérébrale : l’expertise musicale permet-elle de se préserver du vieillissement neurocognitif? », Dans Revue de neuropsychologie 2012/2 (Volume 4), pages 131 à 137. Éditions John Libbey Eurotext. ISSN 2101-6739. DOI 10.1684/nrp.2012.0211, https://www.cairn.info/
Frey, A. et Sappey-Marinier, A., 2018. « Musique et développement langagier », Ressources, Lecture et écriture : des recherches en ESPE, 19. Hal-02430656, https://hal.science/
Habib, M., Lardy, C., Desiles, T., Commeiras, C., Chobert, J. et Besson, M., 2013. « Musique et dyslexie : vers une rééducation cognitivomusicale intermodalitaire des ” troubles dys ” », Dans Développements 2013/3 (n° 16-17), pages 36 à 60. Éditions De Boeck Supérieur. ISSN 2103-2874. ISBN 9782804185596. DOI 10.3917/devel.016.0036, https://www.cairn.info/
Moussad A., Rochette, F. et Bigand, E., 2012. « La musique comme outil de stimulation cognitive », Dans L’Année psychologique 2012/3 (Vol. 112), pages 499 à 542, Éditions NecPlus. ISSN 0003-5033. DOI 10.3917/anpsy.123.0499, https://www.cairn.info/